29 août 1916, la fuite

J’embarque cet après-midi à trois heures à bord du vapeur Libéria à destination de Dakar. Bientôt j’aurai quitté Marseille où j’ai passé d’heureux jours. Nous sommes allés avec des amis, visiter le château d’If, en canot automobile, la ville me rappelle un peu Paris, la Cannebière, le port.

30 août, une heure du matin

Le moment est arrivé, la sirène du vapeur vient d’annoncer le départ, nous allons quitter Marseille, la ville est toute illuminée ainsi que les quais et les phares. Aidé par deux remorqueurs, Le Libéria quitte le quai. Bientôt le large, le grand large. Je viens de passer ma première nuit à bord, malgré le tangage et le roulis, la nuit était orageuse. Nous doublons le golfe du Lion, la mer est houleuse, le bateau danse, j’ai de la peine à me tenir sur mes jambes, j’ai l’impression que le plancher va manquer sous mes pieds. Je viens de déjeuner avec mon camarade, nous sommes les seuls debout, à part l’équipage, tous les autres passagers sont dans leur couchette, mais je ne me sens pas bien du tout, et ne vais pas tarder à les rejoindre, voilà mon café noir et mon petit pain qui remontent, je vais vomir, toujours cet insupportable tangage. Midi : la cloche vient de sonner, le menu me tente, la mer est plus calme… J’ai mangé trois radis et une belle poire, je suis mieux, une promenade sur le pont me remettra tout à fait, le vapeur file à grande allure vers l’inconnu, spectacle magnifique et grandiose, la côte espagnole, les Iles Baléares.

31 août

Je me suis levé ce matin frais comme une rose, la nuit a été très bonne, j’ai bien déjeuné et cette fois je n’ai rien donné aux poissons, le mal de mer est vaincu, il n’a pas eu prise sur mon petit déjeuner. Des vapeurs aux pavillons français, ou anglais croisent autour de nous, demain matin nous serons à Oran. La mer est huileuse et le ciel magnifiquement bleu, dans quelques heures, nous distinguerons les côtes algériennes. Quelle belle soirée le ciel est constellé d’étoiles, très grosses et très près, nous sommes tous étendu sur le pont dans de confortables chaises longues, à contempler le firmament.

1er septembre

Quel réveil ce matin, par la dunette de ma cabine, je vois de très près la côte, des montagnes rondes et rouges, pas de maison, ni d’arbres, dans deux heures nous accosterons à Oran que nous allons pouvoir visiter.

13 septembre 1916

Après quelques jours passés à Oran, pendant lesquels j’ai profité de visiter la ville avec mes compagnons de voyage, les quartiers arabes, les cafés Maures, la Mosquée, le 4 septembre nous quittions le port, le tangage et le roulis recommencent, l’apprentissage est à refaire. Le trajet d’Oran à Dakar a duré huit jours, avant d’arriver à Dakar nous avons eu l’occasion de voir des cachalots, des dauphins, des requins, des marsouins et des poissons volants, par centaines autour du bateau, et de grands oiseaux de mer au vol majestueux. La terre d’Afrique est en vue, le mystérieux Sénégal est devant moi. Un superbe voilier trois mâts quitte Dakar et va nous croiser, dans toute sa splendeur, il me rappelle ces galères de l’ancien temps qui voguent ? Enfin nous arrivons, Dakar, ville d’environ 40'000 âmes aux trois-quarts indigènes. A peine débarqué je vais me présenter à mon bureau et quelle n’est pas ma surprise : la première personne que je rencontre, installée dans un des bureaux, mon ami J. ancien camarade de service. Je n’en croyais pas mes yeux, voilà deux ans qu’il fait partie de la Cie F.A.C. nous ne nous quittons plus, en attendant de poursuivre mon voyage dans la Casamance, à Ziguinchor à bord de l’Archinard, qui me mènera en vingt-quatre heures à destination. Depuis mon arrivée je passe mon temps à visiter la ville, surtout les quartiers indigènes, qui m’attirent le plus. Je suis ravi de voir toutes ces choses, nouvelles pour moi, et je ne regrette rien, on exagère beaucoup quand on parle de l’Afrique, les serpents, les fautes, etc. l’Afrique n’est plus ce qu’elle était il y a dix ou vingt ans, pour voir des fauves et des serpents il faut les chercher dans la brousse. Je ne suis pas venu pour les déranger.