1er août

De bonne heure ce matin nous doublons la Sierre Léone, pays très fertile appartenant aux Anglais, et vers midi nous nous sommes devant les Sherbro, grandes îles très peuplées administrativement aussi par les Anglais, mais, économiquement, par des établissements français.
Nous sommes à la douzième longitude ouest du méridien de Greenwich. A cette époque de l’année la saison est pluvieuse et sous cette latitude les jours sont de même longueur que les nuits. Il fait jour dès six heures du matin jusqu’à six heures du soir.

2 août

Six heures, nous arrivons en rade de Monrovia, petite ville perchée à flanc de coteau, d’aspect très colonial au milieu d’une riche végétation. A midi, nous levons l’ancre et partons sur Tabou où nous embarquerons probablement une cinquantaine d’indigènes de race Kroomann, ceux-ci seront employés à bord pour le transit des marchandises, car la chaleur débilitante ne permet pas aux européens de faire de trop gros efforts.

3 août

Nous approchons de Tabou dont l’accès est assez difficile à cause de la barre sans cesse poussée d’un mouvement perpétuel de la vague qui prend la forme d’un rouleau énorme qui s’écrase avec fracas sur la place et qui rend le passage des embarcations très dangereux.
Le temps est toujours pluvieux quand nous mouillons en rade de Tabou. Plusieurs baleinières montées par des indigènes pagayant à notre rencontre. Chaque maison de commerce envoie une chaloupe qui prend les marchandises qui lui sont destinées. Pendant dix minutes, les noirs pagayent en s’excitant de cris et de chants gutturaux réservant leurs efforts pour le moment critique. Celui-ci est venu et ils s’élancent de toutes leurs forces dans un élan rapide et puissant, entraînés par la vague, au milieu des rochers qui émergent à fleur d’eau, fuyant le terrible rouleau qui nous suit et qui, au moment où il s’écrase pourrait nous engloutir… Nous avons passé et nous arrivons maintenant sur la plage. Un indigène énorme me saisit comme une plume, me transporte à terre ainsi que mes camarades.
La ville de Tabou est composée d’une dizaine de maisons européennes et d’un poste de T.S.F., toutes ces bâtisses sont très jolies au milieu d’arbres aux feuillages merveilleux. Les cultures principales sont le cacao, le café et les huiles de palmes. Nous sommes reçus par un jeune compatriote de Genève, qui nous offre aimablement quelques bouteilles de bière, puis nous faisons rapidement une promenade en ville avant de reprendre place sur notre baleinière. Comme à l’arrivée, un indigène nous transporte sur notre embarcation et c’est alors le moment le plus critique du passage à la barre, car, au lieu de courir avec la vague, nous devons lutter contre elle. Les indigènes, très expérimentés profitent de l’instant où le rouleau s’écrase, pour aller à sa rencontre et le franchir dans un puissant élan : ceci se répète plusieurs fois jusqu’au moment où nous passons le dernier rouleau.
Nous repartons aussitôt pour Béréli, embarquer le nouvel équipage noir.

5 août

Nous mouillons à Grand Bassam, prinicipal port de la Côte d’Ivoire dont la capitale est Bingerville. Un warf nous permet de débarquer sans avoir à passer la barre ; le débarquement par le warf s’effectue par un panier à quatre places, monté sur un treuil qui enlève et dépose ainsi les passagers. La ville de Grand Bassam située sur une presqu’île formée par une lagune intérieure, est très coquette et surtout très propre, avec ses grandes avenues cimentées, elle a un cachet original. De cette ville je repartirai seul, puisque mon camarade P. débarque, pour rejoindre son poste à Bassam. Un jeune homme de Lausanne et le curé m’abandonnent aussi, l’un va à Abidjan et l’Abbi à Koroco, à six cents kilomètres à l’intérieur.
Les naturels du pays sont de races très diverses et ne parlent pas moins de septante-deux dialectes. Les principales productions sont les huiles de palmes, le caoutchouc, le cacao, le café, le coton et l’ivoire ; la forêt contient des essences, les bois les plus précieux, l’iroco à l’acajou dont il est fait une grande exportation,

Jeudi 8 août

Nous quittons la rade de Grand Bassam après quatre jours d’escale durant lesquels j’ai pu, à loisir, visiter la ville et ses environs. Nous avons un plein chargement de planches d’acajou pour Cotonou et trois passagers en première classe. Ils feront route avec moi jusqu’à Acra où nous arriverons demain à midi. Nous marchons à bonne allure, onze nœuds et demie, ce qui fait environ vingt kilomètres à l’heure.

9 août

Acra… principale ville de la Cold Coast (Côte d’Or) colonie anglaise. Une chaloupe à vapeur est venue chercher les trois passagers et nous repartons aussitôt par une mer houleuse. Le bateau tangue et roule, la danse recommence.

10 août

Je me suis levé à bonne heure pour assister à l’arrivée à Cotonou. La ville, très étendu le long du rivage présente un aspect bien colonial, avec ses longues avenues de cocotiers et de palmiers géants. Le bord de la mer rappelle la Plage de Trouville en plus sauvage. Le climat est sain, l’air de mer chasse les moustiques et les mouches venimeuses. A huit heures, je me suis présenté à notre agence où j’ai été reçu à bras ouverts. La maison est située en face du marché indigène et l’autre côté donne en plein sur la mer. De mon cabinet de toilette, je vais passer de longues heures à contempler les merveilleux effets du ciel sur l’océan pendant les soirs d’orage.