19 septembre

Parti de Dakar le 16, je suis arrivé le dimanche 17 dans l’après-midi à Ziguinchor, petite ville au bord de la rivière, La Casamance, qui a environ 300 m. de large et peuplée de nombreux poissons et plus spécialement de requins et de caïmans. Le village de Ziguinchor a trois mille habitants, presque tous des noirs, de différentes races Nankagnes, Woloffs, Kiolas et les Mandingues. Nous sommes environ en tout une vingtaine de blancs, dans les différentes maisons de Ziguinchor, chez nous nous sommes quatre dont trois suisses. Lorsque je suis arrivé au port, une foule de noirs étaient rassemblés, et manifestaient leur joie en poussant des cris de paons, mes deux nouveaux collègues m’attendaient avec un boy pour porter mes bagages, et nous nous sommes rendus directement à la maison d’habitation. Ma chambre était prête, elle donne sur une véranda couverte. A part les chambres à coucher nous disposons d’une salle de billard, une de lecture, bien garnie et une grande salle à manger ; en bas la cuisine, douches et bains, dans le jardin, tennis. Le personnel de la maison se compose d’un cuisinier noir, d’un maître d’hôtel et deux jeunes nègres comme boys, plus une trentaine de noirs disséminés dans les magasins, ateliers, plantations et chalands. La nourriture est excellente et de premier choix : le matin café, servi dans nos chambres à 5 h. ½, à 8 h. casse-croûte : poulet froid ou rôti, beurre et confiture, à dix heures une tasse de thé, à midi, déjeuner : une entrée, un légume, un plat de viande et légume, fromage, dessert, fruit du pays, café, vin blanc ou rouge glacé, à 4 h. thé, à 7 h. dîner : poulet ou canard, et des œufs à profusion. Nous commençons le travail à 6 h. jusqu’à midi et de 2 h. à 5 ½. Mon travail consiste à l’achat et à la vente des produits du pays, arachides, caoutchouc, riz etc, ces produits sont exportés en Europe par paquebots, en outre dans la maison, les indigènes fabriquent des tapis qui sont aussi exportés ou vendus aux noirs. Le vie ici est bien différente de ce qu’elle est chez nous, peu de distraction, pas d’établissement public, et à part la chasse ou le tennis, le soir après le dîner nous allons au village nègre assister aux danses plutôt burlesques au son du tam-tam. Je passe mon temps à faire des portraits, et je passe déjà pour un sorcier : quand je me rends au village faire des croquis, tout le monde d’éloigne de moi en me saluant comme un être surnaturel. Demain dimanche nous irons chasser l’aigrette, l’hippopotame, la panthère, quant au lion, il n’y faut pas compter, c’est un gibier devenu rare dans ces parages.

26 septembre

Nous sommes rentrés de chasse le 24 au soir, par un coucher de soleil magnifique, deux cadavres de caïmans tués par un de mes camarades, plus quelques aigrettes et canards sont le palmarès de la journée. Comme le temps passe vite, il me semble ce c’était hier, que je quittais cette bonne ville de Morges par une belle journée d’août, et voilà deux mois que je transpire sous le soleil d’Afrique, je suis déjà connu comme le loup blanc, le nouveau « toubab » de la compagnie, c’est ainsi que les noirs appellent les européens. Quand je me promène le soir à Santiaba ou à Boucott, les villages formant la banlieue de Zinguincher tout le monde me dit respectueusement « Bonzour toubab Linder » surtout les enfants avec leur grande chemise, tête et pieds nus. Les femmes sont vêtues d’une façon bizarre, avec des étoffes aux couleurs vives dont elles se drapent le corps avec beaucoup de goût, par contre les femmes Kiolas et Mankagnes sont presque nues, un misérable pagne autour de la ceinture, pour tenir leur bébé assis sur leur derrière, la poitrine à nu nous montre parfois en guise de seins, de vielles blagues à tabac qui pendent désespérément sur leur ventre. Les hommes sont paresseux, mais pas méchants, il faut être sévère avec eux mais surtout ne jamais les frapper. Pour ce qui est du climat, il est supportable à la condition de ne faire aucun excès, et surtout beaucoup d’hygiène. Nous allons vers la bonne saison, l’été, une température de quarante à cinquante degrés au soleil à partir de fin octobre jusqu’à fin mai, sans une goutte de pluie. A l’approche de l’hiver, les arbres se dessèchent et perdent leurs feuilles comme chez nous. Une chose est désagréable durant la saison sèche, les serpents pullulent dans nos parages : l’autre jour, nous traversions le jardin, nous nous sommes trouvés en face d’un beau spécimen de ces reptiles, un trigonocéphale de belle taille, de trois mètres environ, une gueule carrée et noire, le corps tacheté de roux et gris de fer, il est paraît-il assez dangereux. Nous avons averti les noirs, qui l’ont traqué et tué. Il est assez rare que ces animaux s’approchent des maisons, ils vivent dans les forêts ou dans la brousse. En cas de morsure nous avons chacun une seringue de Pravaz et du sérum Calmette.